Accompagnement, transmission et lucidité

Classé dans : Actualités, Education artistique | 0

Premières répétitions de Léo et Juliette de Catherine BenhamouCette alliance, formée des trois maitres-mots, est l’un des précieux fondements de notre démarche. Fondements que je ne cesse de proclamer, d’écrire et de porter haut et fort depuis maintenant quarante ans. Même au prix de toutes ces années contrastées, de tous ces parcours engagés avec des milliers d’adolescents et de jeunes gens, ils restent toujours intacts, car sans cesse nourris et renouvelés.

Accompagner
Que d’élégance, déjà, dans ce mot, avant de l’accrocher à la pensée et à la construction d’un travail dramaturgique ! Il rime, ici, avec tant d’histoires vécues, tant de visages émus ! Et on pourrait l’appréhender et le définir également de plusieurs autres façons : regarder, conduire, soutenir, partager.
J’emploie également ce mot pour les ateliers « d’accompagnement » à l’écriture. C’est-à-dire les ateliers que conduisent les auteurs en résidence, associés à nos thématiques. Nous en détaillerons le contenu dans un autre chapitre.

Mais ici, c’est le travail de répétition qui m’intéresse, au moment de l’apprentissage du texte, et avant l’habituelle direction de l’acteur sur le plateau – ce face-à-face normal et nécessaire. Il y a, alors, dans ce mot d’accompagnement, une approche corporelle sensible.
Mais quelque chose de plus juste, de plus précis caractérise ma démarche artistique vis-à-vis de l’adolescent sur le plateau : l’idée de changer de place, plutôt, de se mettre à une autre place. Cette fois-ci, je me place à côté, du même côté que l’adolescent. L’idée de l’accompagnement vient du fait que je ne me positionne plus en face, que je ne parle plus à celui « qui est vu », qui est regardé, mais bien du même côté, presque comme si je devenais « une moitié » de l’adolescent-acteur. L’idée exacte est de regarder le public, comme lui, d’avoir la sensation de soutenir l’acteur, de le porter et, en même temps, de faire avec lui, de jouer presque ensemble !

Sentir ainsi, non plus face mais à côté de soi, le souffle de celui qui cherche et qui a confiance dans la conduite de cette recherche du sens des mots. En le regardant et afin de mieux lui apporter un plaisir des mots, il s’agit de scruter au plus près celui qui se perd et qui ne semble pas comprendre pourquoi.

Un exemple de processus d’accompagnement au texte
Tout d’abord, avant une approche dramaturgique où je mets en jeu deux adolescents, j’ai choisi deux phrases dialoguées. Je les ai réparties afin qu’elles se répondent et engagent une situation identifiable : un résumé de rapport entre deux personnages. La même chose peut être faite avec une seule phrase et une seule personne.
Au départ, donc, il s’agit de calmer les intentions et d’écouter ces phrases se répondre, de les laisser vagabonder en désordre, de les faire répéter par les deux acteurs. Puis, sous mes indications, d’entendre les mots, presque chacun des mots. D’abord les uns derrière les autres, les enchaîner, les répéter, en ordre puis en désordre. Les phrases peuvent être dites dans leur intégralité ou faire l’objet de toutes les coupures, césures, répétitions, tout cela sous ma conduite.
Ainsi, selon l’écoute et l’intuition que j’y sens, chaque respiration peut correspondre à un mot, une syllabe et vice versa. Répéter tellement ces bouts de phrases jusqu’à presque oublier, perdre presque, leur sens global. Par leur répétition dans des situations très différentes, les emplir de presque tous les sens, de toutes les sensations, de toutes les intentions. Je les mêle également à des situations physiques précises – chaleur, secret, émotion extrême, interdit… –, situations que je formule, et qui induisent une autre façon de dire.
Et puis, il y a l’imposition de silences, des mots que l’on ne doit plus dire. Que l’on doit remplacer par des regards, par plus d’écoute de la présence de l’autre, plus d’envie de savoir où se trouve l’autre, surtout si on les travaille les yeux fermés, dans quelle attente de la suite de la phrase il est.
C’est un long et patient travail d’accompagnement à la tranquillité et à l’équilibre émotionnel et/ou intentionnel du texte. C’est un jeu textuel, mêlant situations et actes jusqu’à un épuisement conscient puis inconscient des mots, comme des personnes. Comme si l’on « éviscérait » un comportement verbal entre deux personnes, on les « vidait de tous leurs sens ».
Dans cette idée de césures des phrases, il y a l’idée de retenir l’intention, de ne pas laisser les mots s’échapper sans une véritable nécessité, un besoin. L’adolescent a la fâcheuse manie de tout laisser partir avec le sens global de la phrase, de ne rien retenir. Il pense que, dès la phrase terminée, il en a épuisé le sens. Il s’agit donc d’affirmer, comme je l’ai déjà dit, que le « besoin de dire », le besoin d’exprimer, par ces mots choisis, est plus fort que les mots eux-mêmes, Et lui faire ressentir quelque chose de l’indispensable rapport à l’autre.

Extrait de l’ouvrage Un théâtre et des adolescents – tome 2 (Les années Pélican), de Jean-Claude Gal.