« Un autre intérêt du travail avec des adolescents concerne l’apprentissage d’une langue jusqu’alors inconnue pour la jeunesse : celle du plateau. En effet, la langue théâtrale prend tout de suite des valeurs étranges auprès des jeunes. De par sa structure, sa « façon de s’exprimer », sa composition dramaturgique et l’importance qu’elle donne aux mots, un caractère quasiment sacré et intouchable l’entoure, l’auréolant d’une grande puissance émotionnelle. Elle fait réagir immédiatement les jeunes, les plonge dans une forme de lucidité ou de maladresse mais ne leur reste jamais insensible. C’est leur premier regard sur une autre façon d’exprimer son rapport au monde. Et cela les intéresse.
Il y a aussi la révélation de lire un texte, de s’entendre dans les mots. Je sens alors dans leur regard une interrogation : « Comment vais-je pouvoir m’y loger ? » Cette curiosité pour l’écriture se renforce au fur et à mesure du travail. Or, même si l’on devine quelques moments fulgurants chez les adolescents, ils n’y voient pas beaucoup de choses, pas beaucoup plus que ce qui est écrit.
Car le but ne va pas être de leur faire lire un texte, comme en classe, mais de le leur faire découvrir, de faire sentir aux adolescents ce qu’il contient entre les mots. Le déchiffrer est une épreuve très intéressante. Elle fait comprendre que la structure des phrases et des mots contient tout ce que nous allons y mettre. Il suffit de révéler les mots autrement. La mauvaise lecture d’un texte empêche les images, noie l’existence des corps.
L’aventure artistique va donc les aider à chercher et à exprimer un certain nombre de strates
dans l’apprentissage du texte contenues dans les mots et hors des mots, à s’en emparer et à répandre leur force sensible dans un spectacle.
Les premières lectures laissent des paroles éteintes, des intentions peu visibles ou à peine ébauchées. Les adolescents ne peuvent et ne savent pas les déchiffrer, en faire une matière vivante. Encore moins parler d02e dramaturgie, comprendre l’évolution de la pièce.
Ce langage, aussi simple soit-il, va se démultiplier dans leur bouche, et pas seulement sur le plateau du théâtre. Mais il va falloir l’apprivoiser, le contenir, le maîtriser et le dominer. L’adolescent en fera sa nourriture artistique. Mais cela ira au-delà, au sein même de ses conversations avec les autres acteurs, puis ailleurs, comme je l’ai déjà dit. L’assimilation et le pouvoir intégrés des mots vont resurgir dans leur vie. Ce qui paraissait complètement lié à un langage« professionnel », appartenant uniquement au domaine du plateau, deviendra matière à converser, à parler mieux avec les autres. »
Extrait de l’ouvrage Un théâtre et des adolescents – tome 2 (Les années Pélican), de Jean-Claude Gal.
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