Après l’écriture
Sylvain Levey nous avait écrit, à la fin de la commande du texte :
Chloé a quinze ans. Chloé veut reprendre la ferme familiale.
Reprendre mais pas reproduire ni refaire. Chloé veut inventer sa propre façon de cultiver la terre.
Arès vient d’Italie. Arès ne sait pas trop ce qu’il veut faire.
Arès a perdu ses racines, il doit d’abord trouver où s’installer pour reconstruire.
Ce quelque part c’est peut-être dans le sillage de Chloé.
Donovan a un prénom des années quatre-vingt. Donovan est petit et maigre.
Tout le monde pense que Donovan fait partie de ces gens-là qui n’aiment pas comme il faut.
Donovan est le parfait bouc émissaire, ici les gars sont grands et forts.
Tous les trois étaient faits pour s’entendre.
La poubelle du lycée agricole a cramé.
Sur le tableau, dans une des classes est écrit :
C’é moi ki è cramais la poubel.
On ne sait pas qui a brûlé la poubelle. Peut-être un de ces trois-là.
Pourquoi cramer une poubelle ?
Pour montrer qu’on existe ? Pour montrer sa colère ?
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans mais la colère est saine quand on a quinze ans.
Peut-être est-ce juste le plaisir du désordre.
Faire vaciller l’ordre établi pour trouver un peu de liberté, sa liberté.
L’ordre c’est le conservatisme, Chloé, Arès et Donovan l’ont compris, ce n’est pas en respectant les règles du village qu’ils s’épanouiront.
Et si parfois désobéir c’était gagner un peu en liberté ?
Briser les carcans
L’enjeu est donc de valoriser l’engagement de cette jeunesse en milieu rural. Les thèmes abordés, les rencontres avec les élèves et la proposition de mise en scène, mettent en forme, et en valeur, des idées et des questionnements : comment concilier espace rural et liberté d’agir, promiscuité d’études (internat) et éloignement des établissements ? Comment canaliser les rumeurs, les histoires personnelles ou collectives ? Comment écouter les histoires « ordinaires », quotidiennes, et utiliser ces matières vivantes et collectives dans leur rapport au plateau, à la structuration des groupes en fonction de ce qu’en-dira-t-on ?
Les thèmes du texte font entendre la diversité des opinions, même si l’on sait qu’à ces âges, ces dernières vacillent encore et ne se formulent pas encore nettement.
Le texte se réclame d’une vision utopiste et joyeuse de l’avenir sur ces territoires. Sans doute pas mal d’entre eux se pensent un peu trop jeunes pour y croire et s’investir de façon continuellement juste. Qui peut être insensible à ce besoin d’être soi-même, de regarder les autres avec ce qui nous définit, de se « foutre » de l’opinion populaire pour ne garder que sa fierté de voir l’avenir avec force et détermination ?
L’influence familiale, l’ambiance environnementale, un comportement différent, la compassion ou la soumission à ses émotions, tels sont les éléments qui alimentent ou freinent nos décisions. Alors, à quel moment sommes-nous libres de nos choix ? Sans doute peu de fois, surtout à l’adolescence ! Le choix est-il plus complexe ou simplement plus étroit quand on est en milieu rural, avec ce semblant de liberté de bénéficier d’un espace ouvert, propice à l’isolement et à la contemplation ? Comment réagir à cet état adolescent qui, déjà, marque de son empreinte une façon alambiquée d’arriver à prendre une décision ? Que faut-il entreprendre pour arriver à faire ? Qu’amène le milieu rural dans cet état adolescent qui compliquerait nos choix ? Les choix sont étroits mais à l’adolescence, on ne s’y limite pas encore. On espère, même si le texte est trop bien écrit pour être vrai.
Quelles contraintes limitent nos choix ? Comment être sûr de prendre la bonne décision ? Décider ça sur un coup de tête, ou bien avoir besoin d’un temps de réflexion plus approfondi ? On est soumis à tant de choses quand on est adolescent. Est-ce si rassurant de suivre une trajectoire « sûre », avertie ? Est-ce différent si je suis un garçon ou une fille ? Est-ce que les conditions pour les filles sont différentes en milieu rural ? Leur accorde-t-on assez de confiance ? Comment, en définitive, conquérir son libre-arbitre ?
Une éducation « étroite », sans rêve, sans ambition, peut aussi se révéler être une entrave importante et faire renoncer la jeunesse à atteindre à un idéal.
Après la création
Le parti pris de monter cette pièce de théâtre par le prisme du tournage d’un film a été une idée porteuse de sens pour les élèves. Ce « détournement » des fonctions des signes théâtraux a permis aux élèves de jouer sur différents niveaux, à la fois sur les registres théâtral et cinématographique et de dépasser ainsi certaines appréhensions du texte et du face à face avec le public.
Cette liberté de création, tant dans le texte que dans l’aventure humaine, a introduit ce cycle Jeunesse & Philosophie et ce fut, réellement une belle idée car choisir sa vie, choisir d’être au plus près de ce que l’on souhaite, dès son jeune âge, est une belle promesse de partage.
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